À l’affiche de La Nuit venue, de Frédéric Farrucci, ce Chinois trentenaire, acteur débutant et cadre d’entreprise à Paris, joue un jeune immigré sans-papiers à la croisée des chemins. Rencontre.
« J’ai été formé en sciences et ingénierie, rien à voir avec le cinéma ! » Huo Guang (霍光), tout souriant, semble savourer l'effet de surprise créé chez nous, ce mardi soir, après une journée de travail, dans un bar parisien. Né dans la province du Shandong, ce chef de produits, chez un géant de la tech chinoise, est venu en France en 2004 à l’âge de 18 ans poursuivre des études en « systèmes embarqués »à l’Université Pierre et Marie Curie. Étudiant, ce jeune Chinois à l’allure raffinée et décontractée, fréquentait déjà des castings sauvages, lors de quelques apparitions publicitaires. Dans La Nuit venue, premier long-métrage de Frédéric Farrucci, il interprète, avec une délicatesse inouïe, un clandestin chinois dont la vie bascule lorsqu'il rencontre une call-girl française, incarnée par la chanteuse et comédienne Camélia Jordana. Un défi pour cet acteur non-professionnel qui a su toutefois faire de son handicap une force. « Je n’ai pas de jeu d'acteur. Au cours du tournage, j’étais habité entièrement par mon personnage et nous n’étions qu’un, tout simplement. Mais je ne parviens à expliquer cette métamorphose, aussi physique que psychologique. C’est peut-être ça, la magie du septième art. » Énigmatique, Huo Guang.
Chine-info : C’est votre premier rôle principal au cinéma. Comment l’avez-vous décroché ?
Huo Guang : J’ai été repéré lors d’un casting sauvage en 2017. Pour Frédéric Farrucci, je ressemble beaucoup au personnage de son film. Mais il a fallu toutefois attendre presque deux ans pour qu’il tranche en ma faveur. Une prudence due au fait que ce film est le fruit d’un travail de longue haleine, nourri et enrichi pendant sept longues années, sans compter qu’il tient en grande partie à la prestation de l’acteur principal.
Grand admirateur de Wong Kar Wai, le réalisateur apprécie surtout le jeu minimaliste de Tony Leung, acteur fétiche du cinéaste hongkongais. C’est pourquoi nous avons beaucoup travaillé sur la mise en condition des personnages pour tenter de transmettre une émotion sans dire rien ou presque.
Chine-info : Votre personnage, Jin, chauffeur VTC et sans-papiers, soumis à une soi-disante mafia chinoise, tombe amoureux de Naomi, une strip-teaseuse. Tout y est, de la clandestinité à l’emprise de la mafia en passant par la prostitution. Un scénario qui risque de renforcer un certain imaginaire français sur la communauté chinoise, non ?
Huo Guang : À vrai dire quand j’ai lu pour la première fois le synopsis, je n’ai pas été très à l’aise avec cette histoire de sans-papiers chinois. Mais au fil des discussions, le personnage m’est apparu petit à petit en chair et en os. On peut imaginer que Jin, au départ, était DJ à Pékin. Il organisait souvent des DJ set privés, attirant beaucoup de « fils » et « filles de ». Lors d’une soirée, deux invités sont décédés d’une overdose. Pour échapper à la prison, Jin s’est enfui en France par le biais de réseaux mafieux, et vit depuis à la merci de ces derniers. Pour sortir de cet esclavagisme moderne, Jin et Naomi vont tenter la fuite à deux.
Chine-info : Un parcours d’immigré très différent du vôtre. Comment avez-vous fait pour vous rapprocher du personnage ?
Huo Guang : Contrairement à celle de Jin, je mène une vie dans la norme. Si nous partageons tous les deux la même passion pour la musique, Jin est plus généreux et courageux que moi. Je suis très pragmatique, cédant rarement à l’émotion. Mais pendant le tournage, on s’est beaucoup rapproché au point que j’ai pu me mettre totalement dans sa condition. Jin, c’est moi. J’ai fusionné son parcours avec le mien en réécrivant sa biographie de façon minutieuse. Je me suis posé beaucoup de questions sur lui : Est-il enfant unique ? Quel est le déclic de sa passion pour la musique ? Quel est son style vestimentaire ?…
J’ai également suivi des cours de théâtre, deux fois par semaine, pendant trois mois. La professeure m’a surtout appris à manier, ou plutôt libérer mes émotions. Une véritable épreuve, alors que je suis quelqu’un de pudique, et qu’il ne m’était jamais arrivé de crier ma colère en public.
Chine-info : Quelle est la scène la plus difficile à tourner pour vous ?
Huo Guang : Sans doute la scène où je devais pleurer, à l’issue d’une visioconférence avec la mère de Jin du film. C’était la première fois que j’ai pleuré en 20 ans. J’ai reçu une éducation qui m’a soufflé l’idée que les garçons ne pleurent pas. Je ne savais pas pleurer. Pour y arriver, ma professeure m’a suggéré de revisiter les moments les plus sombres de ma vie, soit de me mettre à la place du personnage. J’ai choisi la deuxième méthode. Transformé en Jin qui risquait de ne plus voir sa famille, je finissais par m'interroger en larmes sur ma vie merdique et sur mon destin qui m’échappe. J’étais Jin à ce moment-là et ce que je devais faire, c’était d’être simplement moi-même. Si j’osais, je dirais que je me suis fait volontairement un lavage de cerveau, au sens positif du terme, pour enfiler l’habit de ce clandestin.
Chine-info : Vous donnez la réplique à Camélia Jordana, chanteuse et actrice à la fois célèbre et engagée en France. Cela constitue-t-il un défi pour vous ?
Huo Guang : Je ne la connaissais pas avant. Le fait qu’elle soit connue ou pas m’a peu importé. Contrairement à elle, je ne suis pas quelqu’un d’engagé et ne le serais peut-être jamais. Mais j’ai suivi la polémique suscitée par ses propos sur la violence policière envers les Noirs. Courageuse, elle a choisi de dire tout haut ce que les gens pensent tout bas. Dans le même temps, de nombreux Français se sont mis à boycotter notre film suite à cette polémique. Libre à eux. À notre époque, chacun a ses opinions.
Chine-info : La langue, comme la cuisine, est un marqueur social et d’identité. Dans le film, tous les Chinois parlent un mandarin parfait, sans aucun accent local, et ils ne mangent que des soupes pho, symbole culinaire du Vietnam. Plusieurs détails sur la communauté chinoise à Paris m’ont semblé peu convaincants... Si je voulais être provocatrice, je dirais que Frédéric Farrucci parle bien de nous, mais sans nous.
Huo Guang : Les natifs Chinois connaissent trop bien leurs contemporains pour s’identifier aux personnages. Mais le film est avant tout dédié au public français qui se moque des identités linguistiques, ni des plats préférés des personnages. Pour moi, c’est l’histoire qui compte. J’imagine que les chauffeurs VTC ou les call-girls pointeraient peut-être d’autres écarts et discordances entre la réalité et la représentation. La Nuit venue est avant tout une romance fictive, qui n'a rien à voir avec un documentaire tiré d’un fait réel.
(Article publié sur Chine-info : http://www.chine-info.com/french/lachineenfrance/cin/20200728/358099.html)